Le tennis qui gagne à Roland Garros

Jon Buckle/PA Wire/PA Images

Je me permets de reprendre ce que Roger Federer a dit après la finale des hommes dimanche soir, qui opposait Carlos Alcaraz et Jannik Sinner : il y a 3 vainqueurs ce dimanche, Carlos Alcaraz, Jannik Sinner et le tennis. On pourrait aussi rajouter les finalistes femmes à cette affirmation, tant la quinzaine qu’elles nous ont offerte était belle.

Mais il n’y a pas que ça, le tennis surtout a gagné, le jeu a gagné, et encore une fois, Roland Garros a gagné. Les émotions on a dit, il y a trop de choses à raconter, à décrypter sur cette quinzaine. Alors c’est parti, et vive le tennis.

La programmation de Roland Garros

Cette question fait débat, comme toujours : qui programme-t-on sur quel court ? Quels seront les joueurs les plus susceptibles de faire venir les spectateurs ? Qui remplira le Court Central ? Alors voilà, Roland Garros est un événement sportif mais aussi un business. Il y a des partenaires, des entreprises qui achètent des places pour leurs employés etc. Comment prévoir que ces invités vont venir ? Alors on place dans le Court Central les joueurs qu’on pense le plus susceptible de ramener le maximum de spectateurs. Et de ce fait, on a affaire à un public qui n’est pas fait que de fans – et c’est très bien comme ça, c’est aussi un événement porte drapeau pour attirer de futurs fans – et donc l’ambiance peut être morne, voire peu présente.

Les tribunes peuvent aussi être vides, parce que tout simplement c’est l’heure de déjeuner, ou que les noms ne leur disent rien. On arrive donc au placement de Joao Fonseca, non pas sur le Court Central, mais sur un petit court annexe. Joao Fonseca, c’est la hype montante du tennis mondial. A 18ans, il montre des capacités physiques hors normes, il a déjà de très bons résultats, et il est showman. Si bien qu’il a déjà conquis le cœur des fans. Des fans. Qui font la queue sur le petit court où il joue.

Débat : pourquoi le mettre sur un petit court alors qu’il est aimé par les fans qui peuvent faire la queue 1h30 pour le voir jouer ? Erreur de calcul. Au tour suivant, il est programmé sur le court Suanne Matthieu, plus grand, et réputé pour être bouillant d’ambiance. Dans ces cas-là, pourquoi râler parce qu’il n’est pas sur le Central ? Le Central ça se mérite.

Via Rolex Newsroom

Et puis encore un autre débat sur la programmation : pourquoi la numéro 1 mondiale est sur le Court Central vide pour son match à 11h du matin ? Avec tout le respect que je dois à cette joueuse (dont je suis fan), qui, hors fans de tennis connait son nom (qui est d’ailleurs Aryna Sabalenka si vous ne suivez pas comme moi le tennis) ?

On en vient donc à ce que Patrick Mouratoglou disait. Pour rappel, il a entrainé Serena Williams et aujourd’hui s’occupe de Naomi Osaka, il connait le tennis féminin et la WTA. Ses paroles : aujourd’hui les joueuses de tennis ne sont pas des stars. Entendez par la que ce sont des stars dans leur sport, et surement dans le sport en général, mais leur nom ne traverse pas la sphère sportive. Prenons un exemple : Serena Williams était une star, et l’est toujours. Venus Williams également. Mais Iga Swiatek ? Hors tennis, qui connait son nom ? Aryna Sabalenka ? Elle y travaille, et elle y travaille plutôt bien, mais elle n’y est pas encore à ce niveau de Venus Williams ou même Naomi Osaka. Elles sont peu nombreuses à avoir ce statut. Carlos Alcaraz ? Il a son documentaire Netflix, comment passer à côté ? Je ne mentionnerai même pas Roger, Rafael ou Novak, on est là sur une autre planète. Mais actuellement ? Jannik Sinner était en poster géant sur le Louvre pendant les travaux. On n’est pas au même niveau.

Et si beaucoup de gens se sont offusqués des paroles de Mouratouglu, c’est tout simplement par vexation excessive. Oui le tennis féminin est excitant à regarder (enfin… quand Iga Swiatek ne met pas des 6/0 a ses adversaires). Oui, Aryna ou Coco sont en train de monter. Mais pas encore. Alors Aryna Sabalenka ou Coco Gauff ne peuvent pas être programmées sur un autre court que le Central ou le Lenglen, mais garantissent-elles affluence de spectateurs ou téléspectateurs ? La programmation a répondu à cette question.

via Bleacher Report

Pour autant, les matchs en nocturne ont été programmés qu’avec des hommes à Roland Garros. Le match Rybakina/Swiatek ou même Badosa/Osaka auraient mérité une petite nocturne, comme ce type de match l’a été dans d’autres Grand Chelem. Alors pourquoi on n’a pas eu cette chance à Roland Garros ? L’excuse a été qu’on préfère privilégier des matchs masculins avec 3 sets gagnants pour être surs que ça dure et que les gens en aient pour leur argent. Mais le sport… ce n’est pas prévisible. Et quand on dit que le tennis féminin est excitant à regarder, on ne se trompe pas : la plupart des matchs masculins en nocturne m’ont fait moins rêver que les matchs féminins en journée. Une erreur donc de programmation ?

Oui et non. Parce que le tennis est aussi un business. Un annonceur voudra être dans la pub de Carlos Alcaraz ou Jannik Sinner plutôt que pour un match de Aryna Sabalenka. C’est la loi du capitalisme et du business. Un annonceur, en général de voiture sur Roland Garros, voudra la plupart du temps être diffuse à ces heures-là pour un « match excitant que les gens ne veulent pas rater ». Et la beauté du sport dans tout ça ? 

French Open 2025 Quarter-Finals: Iga Swiatek vs Elina Svitolina | Photo: AP/Aurelien Morissard

Finalement, en ce qui me concerne, tous ces débats me passent au-dessus : qui est une star qui ne l’est pas ; qui sera programmé sur le Lenglen ou sur le Central ; est-ce cela l’important ou avoir la chance de voir en vrai ou au travers d’un écran un match sublime qu’on gardera dans notre mémoire sportive aussi longtemps que faire se peut ? Est-ce pour être présent pour partager le moment avec l’athlète, ou est-ce pour poster des photos sur les réseaux sociaux et dire « j’y étais » ? On veut tous assister aux matchs, mais finalement l’important n’est-il pas simplement de vivre les émotions que nous procurent les beaux points, les sportifs/ves qui donnent tout ce qu’ils ont ? Je pose la question parce que je me la pose à moi-même.

Et j’ai la réponse : ce que je peux voir en direct et en 3D, je prends, sinon je regarde au travers de l’écran et c’est déjà pas mal. Parce que je n’ai pas toujours eu la chance de voir les exploits se faire en direct, je comprends ma chance d’avoir pu voir jouer Rafael Nadal, Roger Federer, Novak Djokovic ou André Agassi en famille, entourée, devant un écran de télévision.

Nicolas Gouhier / FFT

Un Roland Garros de légende

Corinne Dubreuil / FFT

Roland Garros, le royaume de Rafael Nadal, a enfin pu rendre hommage à celui qui a gagné 14 fois ce tournoi. Le public français est sien, le public mondial est sien.

Je l’avoue encore une fois, j’étais team Federer, mais toujours ce jeu athlétique rapide et explosif m’impressionnait – bon ok il m’énervait surtout. Parce que face a lui il n’y a pas de match, il était beaucoup trop fort. Rien à faire, Rafael Nadal possède ces lieux – et tant d’autres. Mais Rafa à Roland, c’est spécial. Son premier tournoi professionnel ici face au chouchou français Richard Gasquet et la fin de sa rivalité de juniors avec lui. Ses sprints d’échauffement sur le terrain, sa manière méthodique d’organiser ses bouteilles sur la terre battue devant sa chaise, ses tics avant de servir… Tout est légendaire. Ses matchs contre Federer, sa dernière finale contre Casper Ruud en 2022 (qu’on pourrait qualifier de déjà gagnée au sortir des vestiaires), sa première finale contre Mariano Puerta, il n’a jamais vraiment été menacé. Toujours sur une autre planète.  

via Roland Garros/FFT

Roland Garros est sa maison, Paris est son royaume. Il a porté la flamme olympique cet été sous la tour Eiffel, tendue par Zinedine Zidane. S’il y avait un doute sur l’amour que porte cette ville/pays/population à son Rafa, depuis cet été il n’y en a plus. Et pourtant, l’année dernière, lorsqu’il perd au premier tour contre Alexander Zverev, rien n’est fait vraiment pour lui dire au revoir. Comme si le monde entier était dans le déni. Roland Garros sans Rafael Nadal, ce n’est plus Roland Garros et personne ne veut y croire.

Alors cette année, à l’annonce de la tenue d’une cérémonie pour le roi de la terre battue, on a soufflé, enfin on lui rend l’hommage qu’il mérite. Que celui qui n’a pas eu des larmes devant sa standing ovation, devant l’arrivée de Federer, Djokovic et Murray pour lui rendre hommage, le trophée et la découverte de la plaque lève la main. En tout cas, moi, qui n’étais pas fan, j’ai pleuré. Parce qu’à ce niveau de légende, on s’en fiche de qui on était fan, il suffit d’aimer le tennis. Tout ce que ce joueur a amené au sport va au-delà du supporterisme primaire. Cette plaque, dévoilée lors de la cérémonie est ce qu’on peut appeler l’hommage parfait. Si son souvenir reste gravé dans nos têtes, son passage doit rester ancré sur le sol du Court Central de Roland Garros. Son empreinte a changé le tournoi, sa présence a rendu le tournoi encore plus challengeant pour ses adversaires, son palmarès a changé la face du tennis sur terre battue. Sa carrière le place très haut dans les légendes du sport. Et nous, pauvres humains, ne pouvons que sécher nos larmes et remercier les dieux du sport de nous avoir permis d’assister en direct à l’Histoire qui s’écrivait.

Corinne Dubreuil / FFT

Corinne Dubreuil / FFT

On en a profité aussi pour dire au revoir à Ritchie, notre légende du tennis français. Lui aussi, on pensait qu’il resterait éternellement sur les courts de tennis. Pour moi, qui ai grandi et muri avec la génération Ritchie/Nadal, le coup de vieux est réel. Comme si c’était hier, on se revoit à réviser les contrôles de fin d’année et le bac devant Roland, devant Ritchie. Il nous aura donné tant d’émotions avec ce revers à une main, cette élégance et son accent du sud. Merci pour les travaux Richard !

Philippe Montigny / FFT

Du jeu, du jeu, du jeu s’il vous plait

Le tennis, la terre battue qui vole, les cris des arbitres sur les bords de terrain pour annoncer FAUUUUTE au service. Tant de choses qui resteront ancrées encore dans la mémoire. Alors que retenir réellement ?

Attention, la liste est longue :

La révélation Jack Draper cette année, la montée en puissance de Joao Fonseca, la domination a venir de Jannik Sinner VS Carlos Alcaraz, les démons d’Aryna Sabalenka avec ses doutes à chaque finale cette année, le sang-froid et le réalisme de Coco Gauff, la révélation (qui n’en est pas vraiment une) de Lois Boisson, l’engouement pour Arthur Fils, les larmes d’Alexander Bublik, la descente aux enfers d’Iga Swiatek, le retour d’Elena Rybakina, les doutes autour du dos de Paula Badosa, les doutes et la santé mentale de Stefanos Tsitsipas, le kit Lululemon de Frances Tiafoe qui renoue enfin avec les bons résultats, la déroute de Taylor Fritz, le genou capricieux de Casper Ruud, la confirmation de la belle saison de Musetti, la ténacité de Elina Svitolina, l’espoir de revoir Gael Showman Monfils en 2026 à Roland Garros, le jeu qui revient petit à petit de Naomi Osaka, Sara Errani qui fait le doublé en double…

Getty

Tant de choses qu’on a pu voir sur cette quinzaine sur les courts mais aussi les légendaires ramasseurs de balles qui ont fêté avec les vainqueurs les victoires avec la coupe, les concours de danses de la victoire entre Novak Djokovic et Aryna Sabalenka, la visite de la coupe de la Ligue des Champions…

 

Reuters

Et puis sur le court, 5h29 pour 9,5 millions de telespectateurs d’une finale masculine sensationnelle, une des meilleures de l’histoire du tennis. Les points magnifiques entre les 2 porteurs de la torche de l’avenir du tennis, leur fair-play. Les larmes, de joie ou de peine. Coco ou Carlitos, vous êtes peut-être ceux qui ont levé les coupes, mais nous sommes les vrais vainqueurs. Nous, les amoureux du sport, les amoureux du tennis, qui ont la chance de voir le flambeau passer d’une génération talentueuse à l’autre. Et même ceux qui ne sont pas amoureux de sport peuvent voir à quel point ce sport peut apporter des émotions intenses.

Corinne Dubreuil / FFT

Vive Roland Garros, vive le tennis, et merci le sport.

A dans 3 semaines à Wimbledon !